Fiche pays : Sénégal

Histoire politique et juridique du pays :

Tandis que l’espace sénégambien est occupé depuis le Paléolithique, la région a été sous l’influence de plusieurs formations politiques africaines. Il s’agit notamment des Empires du Ghana, du Mali, de Gao,  Jolof, et Songhaï.

Depuis le XVe siècle, plusieurs puissances européennes étendent leur influence au Sénégal. Les portugais y fondent plusieurs comptoirs commerciaux suivis des Britanniques et Néerlandais qui se font concurrence sur la traite des Noirs. Suite à cela, les Français s’installent à Saint Louis en 1659. Après la conférence de Berlin en 1885, la France étend durablement son emprise au Sénégal. A partir de 1895, le territoire est rattaché à l’Afrique Occidentale française.

Une union éphémère, la Fédération du Mali, est créée entre le Sénégal et le Mali en 1959, mais est rapidement dissoute. En 1960, le Sénégal obtient son indépendance. La République mise en place alors était un régime parlementaire, similaire à celui de la 4e République française. Mais, en 1962, le Président du Conseil Mamadou Dia et quatre autres de ses ministres sont arrêtés et emprisonnés pour « tentative de coup d’Etat ». Senghor en profite pour instaurer un régime présidentiel fort. Il introduit néanmoins le multipartisme en 1976. En 1981, Abdou Diouf lui succède à la tête du pays et reste au pouvoir jusqu’en 2000.

En 2000, Abdoulaye Wade est élu Président de la République. Il s’agit de la première alternance que connaît le pays, après un pouvoir exercé sans discontinuer par les socialistes depuis l’indépendance. Durant son mandat, Abdoulaye Wade amende la constitution afin d’étendre les pouvoirs de l’exécutif. En 2012, alors qu’il décide de briguer un troisième mandat, il est défait par Macky Sall et le pays connaît sa seconde alternance. Le nouveau président introduit un référendum constitutionnel pour réduire le mandat présidentiel de 7 à 5 ans et limiter le nombre de mandats à deux. Il est réélu en 2019 et supprime d’emblée le poste de premier ministre. Début 2021, il fait face à des émeutes qui embrasent le pays. Elles sont déclenchées suite à une affaire judiciaire impliquant Ousmane Sonko, le principal opposant de Macky Sall. La situation politique reste tendue car cette affaire est vue comme une tentative de museler l’opposition et de préparer le terrain pour une candidature à un troisième mandat, qui serait totalement inconstitutionnelle. 

A l’époque coloniale, le système juridique sénégalais était basé une logique duale. Il existait, d’une part, des juridictions indigènes, dites de droit local. Ces dernières comprenaient des tribunaux coutumiers et musulmans. D’autre part, il existait des juridictions françaises, dites de droit commun ou de droit français. Ce système a disparu à l’indépendance du pays en 1960. Le Sénégal a procédé à un processus de sécularisation et d’unification de son système juridique, avec une suppression du pluralisme de juridiction et de législation. Le droit sénégalais est fortement inspiré du droit français, à l’exception du droit de la famille qui intègre des dispositions tirées du droit musulman.

Dynamique de la présence historique de l’islam dans le pays :

L’islamisation du Sénégal s’est accélérée au XIe siècle, à travers la conquête Almoravide qui a étendu son pouvoir de la péninsule ibérique jusqu’au nord du Sénégal. Le royaume de Takrur, situé dans la vallée du fleuve du Sénégal, est la première formation politique à avoir adopté l’Islam dans la région. Depuis, l’islam est devenue la religion dominante (environ 94 % de la population aujourd’hui).

L’Islam pratiqué au Sénégal suit le courant sunnite fondé sur la théologie ash'arite, la jurisprudence malikite. Le soufisme est la forme prédominante de pratique religieuse dans le pays. Il s’étend principalement dans le pays lors du XIXe siècle Celui-ci est principalement représenté au Sénégal par quatre confréries : la Tijaniyya, la Mouridiya, la Qadiriyya et la Layeniyya :

  • La Tijaniyya (TarîqahTijâniyyah) est la plus importante confrérie soufie du Sénégal. Elle serait née en l’an 1196 de l’Hégire (1781-1782 de notre ère) lorsque le cheikh Ahmed Tijani, à 46 ans, lors d'une retraite spirituelle dans une oasis proche de Boussemghoun (Régence d'Alger), eut une expérience mystique en rencontrant le Prophète Mahomet dans une vision éveillée (et non simplement, comme le plus souvent dans la tradition musulmane, en rêve), qui lui ordonna d’abandonner toutes ses affiliations précédentes et lui promit d’être son intercesseur privilégié, et celui de ses fidèles, auprès de Dieu. D'après le dernier recensement général de la population sénégalaise (en 2002), environ 60 % des Sénégalais sont membres de la Tijaniyya.

Les mourides constituent la plus importante confrérie soufie née en Afrique subsaharienne. Le fondateur de la confrérie est le marabout Ahmadou Bamba en 1883. Elle joue un rôle religieux, économique et politique de premier plan au Sénégal. La tradition mouride est fortement marquée par la culture islamique. Les fidèles effectuent un pèlerinage annuel dans la ville sainte de Touba, au centre du Sénégal, le Magal, qui commémore le départ en exil, en 

  • 1895, d'Ahmadou Bamba sous la pression de l'autorité coloniale française. Cette confrérie représente environ 28 % de la population sénégalaise.
  • La Qadiriyya est la plus ancienne confrérie soufie présente au Sénégal. Elle s’inspire d’Abd al Qadr al Jilani (1077-1166), dont la tombe se situe à Baghdad. La Qadirya a été propagée par Sheikh Bou Kountadns la ville de Ndiassane au XIXe siècle. Elle compte aujourd’hui quelque 900 000 adeptes dans le pays.
  • La Layeniyya est une confrérie musulmane basée sur le mahdisme. Son fondateur est Seydina Limamou Laye. Il a commencé sa prédication le 24 mai 1883, se présentant comme l'imam des « Bien Guidés » ou « imamoul Mahdi ». Il a enseigné et a prêché la droiture et un culte religieux « propre et sincère », débarrassé des traditions qu'il jugeait non conformes à l'islam.

Constitution et religions, Constitution et islam :

La première constitution du Sénégal est adoptée en 1960 après la dissolution de l’éphémère Fédération du Mali. Elle sera suivie de plusieurs révisions, en 1963 et 2001 (celle-ci ayant été modifiée par plusieurs lois constitutionnelles : neuf réformes entre 2007 et 2019).

L’article 1er de la  Constitution sénégalaise dispose que « La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

D’autre part, l’article 4 précise que « les partis politiques et coalitions de partis politiques, de même que les candidats indépendants, sont tenus de respecter la Constitution ainsi que les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. Il leur est interdit de s’identifier à une race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une partie du territoire ».

La pratique religieuse est garantie par l’article 24 de la Constitution qui énonce que « la liberté de conscience, les libertés et les pratiques religieuses ou cultuelles, la profession d’éducateur religieux sont garanties à tous sous réserve de l’ordre public. Les institutions et les communautés religieuses ont le droit de se développer sans entrave. Elles sont dégagées de la tutelle de l’Etat. Elles règlent et administrent leurs affaires d’une manière autonome ».

Système juridique et judiciaire (grandes lignes) :

 

L’arsenal juridique sénégalais est entièrement sécularisé, à l’exception du droit de la famille qui prévoit un système d’options, qui permet de choisir entre le droit commun et le droit musulman dans certains domaines.

En 2017, une réforme de l’organisation judiciaire du pays, à travers notamment la loi n° 2017-23 du 28 juin 2017 modifiant les articles 5, 6, 7, 9 et 13 de la loi n° 2014-26 du 03 novembre 2014 fixant l’organisation judiciaire, a permis de renforcer l’accessibilité de la Justice et d’améliorer son efficacité par la mise en place d’une nouvelle carte judiciaire. Des tribunaux de commerce et des chambres commerciales d’appel ont été créés et font désormais partie de l’architecture judiciaire sénégalaise.

L’organisation judiciaire comprend aujourd’hui :

  • la Cour suprême ;
  • les cours d’appel ;
  • les tribunaux de grande instance (TGI) ;
  • les tribunaux de travail (TT) ;
  • les tribunaux de commerce ;
  • les tribunaux d’instance (TI).

Ces juridictions connaissent de toutes affaires civiles, commerciales ou pénales, des différends du travail et de l’ensemble du contentieux administratif. Au sein des tribunaux de grande instance et des cours d’appel, des chambres spécialisées peuvent être créées tant en matière civile que pénale par décision de l’Assemblée générale de la juridiction.

D’autre part, une chambre africaine extraordinaire d’instruction est intégrée au tribunal régional hors classe de Dakar, une chambre africaine extraordinaire d’assises et une chambre africaine extraordinaire d’appel, à la Cour d’appel de Dakar. Ces juridictions créées par l’accord entre l’Union africaine et la République du Sénégal, sont chargées d’instruire et de juger les crimes internationaux commis au Tchad entre le 07 juin 1982 et le 1er décembre 1990 ; elles seront automatiquement dissoutes à la fin de leur mission.

Droit de la famille (grandes lignes, textes principaux) :

Le code de la famille sénégalais a été adopté en 1972. L’étude des principales dispositions du code de la famille traduit l’équilibre que le législateur a souhaité trouver entre les héritages islamique, coutumier et de droit français.

Par le biais du système des options, le code permet aux Musulmans qui le souhaitent d’être en conformité avec leur religion. Concernant le mariage, la polygamie est instituée régime de droit commun en l’absence d’option de l’époux pour un régime de monogamie ou de polygamie limitée (art.116).

Les Sénégalais sont également autorisés à célébrer leur mariage selon leur religion. Au niveau de la succession, les Musulmans peuvent choisir de se faire appliquer le régime successoral musulman (art.571) et les hommes ont la possibilité d’exclure de la succession leurs enfants naturels.

Au nom de la coutume wolof islamisée, la direction de la famille est confiée au père qui en est le chef (art.152) et qui exerce la puissance paternelle (art.277). Au niveau juridictionnel, les tribunaux musulmans, qui existaient à la période coloniale, ont été supprimés.

Mises à part ces dispositions, le code de la famille sénégalais est largement inspiré du code napoléonien de 1810 et a supprimé certains points de la coutume wolof islamisée jugés contraires à une dynamique de modernisation. Ainsi le législateur a mis fin à la tutelle matrimoniale sur les femmes et au mariage forcé en exigeant le consentement personnel des futurs époux. Le code permet également aux femmes de se marier avec l’homme de leur choix quelle que soit sa religion et il abroge la répudiation. Enfin, le système de l’adoption plénière ou limitée est autorisé.

Droit de la sexualité (relations hors-mariage, homosexualité, pédophilie, viol, avortement, etc.) :

Homosexualité :

L’homosexualité ne figure pas explicitement dans le Code pénal sénégalais. En revanche, ce dernier incrimine les actes « contre-nature ». En effet, l’article 319-3 du code pénal dispose que « sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 francs, quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. Si l’acte a été commis avec un mineur de 21 ans, le maximum de la peine sera toujours prononcé ». En pratique, les poursuites judiciaires ne sont toutefois pas limitées aux actes contre nature et incluent l’orientation sexuelle et l’identité de genre présumées des individus.

Avortement :

Au Sénégal, le code pénal (art. 305) fait de l’avortement un délit passible d’amende et de peine d’emprisonnement pour les femmes y ayant eu recours ainsi que pour ceux le leur ayant procuré. Les textes prévoient des peines allant de 6 mois à 2 ans d’emprisonnement pour les femmes et d’un an à 5 ans pour ceux leur ayant procuré l’avortement.

Votée en 2005, la loi sur la santé de la reproduction (art. 15) confirme cette interdiction, ne laissant pour seule option aux femmes que l’avortement thérapeutique, strictement encadré par l’article 35 du code de déontologie médicale (1966).

Criminalisation du viol et de la pédophilie :

L'Assemblée nationale Sénégalaise a voté en décembre 2019 le projet de loi criminalisant les actes de viol et de pédophilie. La criminalisation du viol était une demande des associations de défense des droits des femmes à la suite d'une série d'agressions sexuelles enregistrées ces derniers mois. Jusqu'ici, le viol était considéré au Sénégal comme un simple délit, passible de cinq à dix ans de prison. Désormais, les auteurs de ces crimes peuvent écoper de peine allant jusqu'à la perpétuité. Dans le but d’accélérer la mise en œuvre de la loi, le président de la République a insisté sur la nécessité d’une campagne nationale de sensibilisation dans les langues nationales pour une meilleure appropriation par les populations.

Bibliographie indicative :

 

Baudouin Dupret, Samer Ghamroun, Youmna Makhlouf, Marième N’Diaye, Ayang Utriza Yakin, et al..Playing by the rules: The search for legal grounds in homosexuality cases - Indonesia, Lebanon, Egypt, Senegal. Baudouin Dupret; Julie Colemans; Max Travers. Legal Rules in Practice: In the Midst of Law’s Life, Routledge, 2020.

Eric, S. Ross ,Culture and Customs of Senegal. Westport:GreenWoodPress (2008).

Marième N’Diaye, la réforme du droit de la famille : une comparaison Sénégal-Maroc, (les Presses de l’Université de 

Montréal 2016.

Jean Copans (les marabouts de l’arachide) et Christian Coulon (Le marabout et le prince) sur les confréries.

Momar Coumba Diop (dir.) : La construction de l’Etat au Sénégal ; Le Sénégal contemporain

Mamadou Diouf Une histoire du Sénégal : le modèle islamo-wolof et ses périphéries.