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Liban - Récit

Mariage civil au Liban : sept ans après Nidal et Khouloud, Abdallah et Marie-Joe tentent de relancer la machine

Sous le mandat de Nouhad Machnouk, l’enregistrement des mariages civils au Liban avait été gelé. Aujourd’hui, quatre mois après l’intronisation de Raya el-Hassan au ministère de l’Intérieur, Abdallah Salam et Marie-Joe Abi-Nassif veulent faire enregistrer leur union civile conclue à Beyrouth.

Abdallah Salam et Marie-Joe Abi-Nassif, lors de leur mariage civil à Beyrouth, le 15 juin dernier. Ufuk Sarisen Photography

Chaque année, des milliers de Libanais souhaitant se marier civilement embarquent pour l’étranger, la plupart du temps à destination de Chypre. Abdallah Salam et Marie-Joe Abi-Nassif font partie de ces jeunes Libanais ayant opté pour un mariage civil. Mais eux ont décidé de le célébrer dans la ville qui les a vus grandir : Beyrouth. Le 15 juin dernier, ce n’est ni un prêtre ni un cheikh qui a célébré leur union, mais un notaire. Alors qu’ils attendent toujours l’inscription définitive de leur mariage au registre d’état civil, ils racontent, dans un entretien exclusif à L’Orient-Le Jour, comment ce « sentiment de responsabilité » et ce désir de « participer à la construction d’un État de droit » au Liban sont nés en eux.


Leur histoire

À seulement 32 ans, Abdallah Salam, avocat collaborateur au sein du cabinet international Shearman & Sterling à New York, affiche déjà un CV bien rempli : une licence en économie de l’Université de Harvard, un master en philosophie d’Oxford, un doctorat en théorie du droit de la même université, un Latin Legum Magiste (LLM) de Sciences Po Paris et un Juris Doctor (JD) de Columbia.

C’est en 2012, alors qu’il rédige sa thèse à Oxford, qu’il s’intéresse de près au mariage civil au Liban. En novembre de la même année, il prend l’avion pour Beyrouth afin d’y assister au premier mariage civil conclu sur le territoire libanais : celui de Khouloud Succariyé et Nidal Darwiche.

« Lors de ce mariage, j’ai ressenti un grand sentiment de liberté et eu l’impression que le droit et la justice triomphaient », se souvient-il. À l’époque, il écrira dans les colonnes de L’Orient-Le Jour une lettre ouverte au ministre de l’Intérieur d’alors, Marwan Charbel, pour réclamer l’inscription de cette union, qui avait obtenu le soutien inconditionnel du chef de l’État Michel Sleiman et du ministre de la Justice Chakib Cortbaoui, dans les registres d’état civil. Ce sera chose faite en avril 2013, suite à une décision de la haute instance du département de la législation et des consultations au sein du ministère de la Justice.

Moins d’un an plus tard, en janvier 2014, Abdallah Salam décide de rayer la mention communautaire « sunnite » de sa fiche d’état civil, comme le lui permettait une circulaire, émise en 2009, par Ziyad Baroud, alors ministre de l’Intérieur.

« Ce n’est pas une question de croyance religieuse, mais un choix citoyen. Je ne veux pas que ma relation avec l’État passe par un intermédiaire religieux ou confessionnel », précise-t-il, rappelant que l’évêque grec-catholique Mgr Grégoire Haddad avait été parmi les premiers à rayer sa confession des registres d’état civil.

Lorsque le jeune homme obtient ses nouveaux papiers, il y est inscrit « sans confession ». Il les renvoie, exigeant le remplacement de cette mention par le signe « / », conformément à ce que prévoit la circulaire de M. Baroud, pour refléter son choix de ne pas déclarer une appartenance confessionnelle. « À partir de là, je savais que je lorsque je me marierai, je le ferais civilement, et à Beyrouth », note Abdallah Salam. La même année, le jour de la rentrée à l’Université de Columbia, il rencontre Marie-Joe Abi-Nassif, la femme qu’il épousera.

À Columbia, la jeune Libanaise, titulaire d’une licence en droit de l’Université Saint-Joseph, à Beyrouth, et d’un master en droit des affaires de l’Université Paris II-Assas, se lance dans un LLM. « Ce qui m’a le plus attirée chez Abdallah, ce sont ses valeurs humanistes profondes et les principes pour lesquels il se bat au quotidien », confie Marie-Joe Abi-Nassif. Aujourd’hui, la jeune femme a mis sa carrière d’avocate en fusions-acquisitions au sein du cabinet international Latham & Watkins à New York en mode pause, pour se consacrer à sa passion : l’opéra.

En octobre 2017, au Lincoln Center, à New York, Abdallah demande à Marie-Joe de l’épouser. En février 2019, accompagnée de sa mère, elle entame les procédures nécessaires afin que la mention communautaire « maronite » soit rayée de sa fiche d’état civil. « Quand ce fut fait, j’ai ressenti un énorme sentiment de libération », explique-t-elle. « Ma mère, qui est croyante et pratiquante, était très fière de moi, se souvient la jeune femme. Elle sait que cette décision reflète mon patriotisme et n’a rien à voir avec ma croyance religieuse qui relève de la sphère personnelle. »

Fille de Joseph Abi-Nassif, un général de l’armée libanaise, Marie-Joe confie avoir toujours été imprégnée de la vision patriotique de son père, un homme qui « a vécu les guerres du Liban et a été prisonnier de guerre en Israël durant un an ». « Il reprochait aux Libanais de ne pas avoir d’identité commune, il considérait que les confessions ont toujours été un frein à l’État de droit et que cela était un problème fondamental au Liban », affirme-t-elle. C’est pourquoi, aujourd’hui, en hommage à son père décédé en 2013, elle veut « participer à la construction de cet État de droit et de ce sentiment d’appartenance ».

Abdallah Salam, lui, a grandi dans une famille politique beyrouthine. Un milieu propice, dit-il, au développement, chez lui, d’« un sens des responsabilités civiques ». Si son père, Nawaf Salam, est juge à la Cour internationale de justice (CIJ) et ancien délégué permanent du Liban auprès de l’ONU, et sa mère, Nada Sehnaoui, une candidate de Beyrouth Madinati aux municipales de 2016, le jeune homme rappelle que son arrière-grand-père, Salim Salam, député au Parlement ottoman, était « une des figures les plus progressistes de Beyrouth ».

Conclure leur mariage civil à Beyrouth, « une ville libre, moderne et ouverte sur la Méditerranée », martèle Abdallah, était donc une évidence. « Cette décision s’inscrit dans une vision du pays que nous partageons, un pays où tous les citoyens sont respectés et égaux dans leurs droits et obligations, affirme Marie-Joe Abi-Nassif. Le fait que je sois soumise à des lois confessionnelles et archaïques est une aberration. » « C’est une question d’égalité, renchérit Abdallah Salam. Dans le cadre des mariages religieux et devant les tribunaux religieux, la femme n’est pas égale à l’homme. »



(Lire aussi : Le mariage civil, cette question qui déchaîne les passions depuis des décennies au Liban...)



La cérémonie

Le 15 juin, dans les jardins Sursock, Abdallah Salam, costume sombre et nœud papillon, et Marie-Joe Abi Nassif, robe blanche brodée à bustier, se retrouvent devant Joseph Béchara, président du conseil des notaires au Liban. Parmi les centaines d’invités, l’ancien président la Chambre, Hussein Husseini ; deux anciens ministres de l’Intérieur, Ziyad Baroud et Salah Salmane ; l’ancien ministre de l’Éducation Hassan Mneimné ; l’ancien ministre de la Culture Tarek Mitri ; l’ancien ministre de l’Énergie, Maurice Sehnaoui, et le président de l’AUB Fadlo Khuri.

« Ce moment est un moment de bonheur pour les mariés, leurs amis, leurs familles et aussi pour le Liban », déclare Joseph Béchara, avant d’annoncer que les deux jeunes Libanais ont choisi de conclure un mariage civil. Les applaudissements fusent. Cette décision est le fruit « de leur libre arbitre, sous le couvert de la Constitution libanaise, les déclarations des droits de l’homme, les textes fondateurs de la République libanaise, dont l’arrêté numéro 60/L.R., et à la lumière des avis juridiques issus des plus hautes instances qui ont confirmé la légalité du mariage au Liban. »

Il donne ensuite lecture du contrat de mariage que devront signer Abdallah et Marie-Joe. Un contrat similaire a celui conclu entre Khouloud et Nidal, et les dizaines d’autres mariés civilement qui ont suivi. Le contrat stipule que les deux époux sont égaux en droits, qu’ils s’engagent à se respecter mutuellement, s’entraider, assurer l’éducation de leurs enfants et leur avenir et participer à cette vie commune.

Sur la table où ne trône rien d’autre que le drapeau libanais, le jeune couple et leurs témoins signent leur contrat de mariage authentifié par le notaire. « Vous êtes unis par les liens du mariage, mille mabrouk », conclut alors ce dernier.



(Lire aussi : Mariage civil au Liban : la brèche de la "communauté de droit commun")



Le parcours d’obstacles postcérémonie

Mais les deux tourtereaux ont encore une tâche, pas simple, à accomplir : l’enregistrement de leur union.

« Notre mariage respecte toutes les normes et procédures juridiques », assurent-ils, sereins et confiants. Le 17 juin, ils ont fait authentifier leur contrat de mariage par le président de l’Union des moukhtars. Le lendemain, ils se sont rendus au ministère de l’Intérieur qui a accusé réception du certificat de mariage, l’inscrivant dans le « sejel el-wared » (registre de réception, NDLR). Depuis, ils attendent que le mariage soit transféré au « sejel el-tanfiz » (registre d’exécution, NDLR) pour être officiellement inscrit. Selon l’article 21 de l’arrêté numéro 60, le délai de transfert doit être de 24 heures. Si le couple ne s’attendait pas à un transfert dans ces délais, au bout de deux semaines, sa patience commence à être sérieusement émoussée. Au début de son mandat, mi-février, la ministre de l’Intérieur, Raya el-Hassan, s’était prononcée, en réponse à une question lors d’une interview sur Euronews, « pour un cadre régulant le mariage civil » au Liban. « Je vais essayer d’ouvrir une porte pour un dialogue sérieux et profond » à ce sujet, avait-elle souligné. Le « niet » des autorités religieuses n’avait pas tardé. Le mariage civil « est contraire à la religion islamique » et « menace la cohésion familiale », avait averti le mufti de la République, le cheikh sunnite Abdellatif Deriane, lors d’un entretien avec la ministre. « Une personne chrétienne ne peut pas se marier civilement parce qu’elle serait en situation de péché, d’autant que cette forme de mariage va à l’encontre du sacrement », avait renchéri le patriarche maronite. Mgr Béchara Raï s’était néanmoins prononcé, auparavant, en faveur d’une « loi civile unique contraignante qui s’imposerait à tous ». Selon les informations obtenues hier par le couple, la résistance au transfert du dossier au « sejel el-tanfiz » serait le fait de la Direction générale de l’état civil, au sein du ministère de l’Intérieur. Mais pour les jeunes mariés, « peu importe que la ministre de l’Intérieur soit pour ou contre le mariage civil, l’important étant qu’elle applique la loi parce que la légalité du mariage civil conclu au Liban par les citoyens ayant rayé la référence confessionnelle est une question qui est définitivement tranchée ». « Il ne relève ni de la compétence ni des prérogatives du ministère de l’Intérieur de s’interroger sur les questions de droit que la haute instance du département de la législation et des consultations au sein du ministère de la Justice a tranchées », martèlent-ils.

Selon Ziyad Baroud, ancien ministre de l’Intérieur et avocat, le ministère est, « en théorie, tenu d’enregistrer ce mariage ». D’abord parce qu’il y a eu des précédents, indique-t-il, affirmant que 13 mariages civils conclus au Liban ont été inscrits par le passé. Ensuite parce que l’arrêté n° 60/L.R pris le 13 mars 1936 par le haut-commissaire français à l’époque « est toujours en vigueur et a valeur législative ».

Selon l’article 10 de cet arrêté, « les membres syriens et libanais d’une communauté de droit commun ainsi que ceux qui n’appartiennent à aucune communauté sont régis en matière de statut personnel par la loi civile ». Abdallah et Marie-Joe ayant choisi de biffer leur appartenance à une communauté, ils sont donc de ceux « qui n’appartiennent à aucune communauté », et leur mariage doit être soumis à une loi civile.

Pour l’ancien ministre de l’Intérieur, l’intérêt du mariage de Marie-Joe et Abdallah réside dans le fait qu’il s’agit du premier conclu sous le mandat de Raya el-Hassan, « qui s’est prononcée ouvertement en faveur du mariage civil facultatif ». « C’est une grande opportunité pour elle de concrétiser ses propos, surtout qu’elle a suffisamment de bases solides pour accepter l’enregistrement du mariage : le droit, les précédents, ensuite et surtout l’avis du haut conseil consultatif affilié au ministère de la Justice, la plus haute instance consultative du pays, qui s’est prononcé en faveur de ce procédé en 2013. » Il tient toutefois à préciser que ce n’est pas Mme Hassan qui est censée enregistrer le mariage. « Normalement, c’est la Direction générale du statut personnel qui reçoit les papiers et les enregistre, dit-il. Cependant, la Direction générale du statut personnel refuse d’inscrire ce type de mariage sans que la ministre ne donne ses instructions. »



(Lire aussi : Libanaises, exigeons un mariage civil pour tous !)



Le rôle de la ministre, dans cette affaire, est d’autant plus crucial que son prédécesseur, Nouhad Machnouk, avait, en 2015, donné un coup d’arrêt au processus, affirmant qu’il est impossible d’enregistrer les mariages civils contractés au Liban en raison de l’absence d’un cadre législatif adéquat. Sous son mandat, selon les chiffres de M. Baroud, environ 55 mariages civils conclus au Liban n’ont pas été inscrits.

« Mais le cadre législatif existe via l’arrêté 60, rétorque M. Baroud. Le mariage civil est un contrat, et lorsqu’on renvoie dans ce contrat à des textes clairs, même s’ils ne sont pas libanais, ses textes devraient régir le mariage. » « Il faut arrêter la schizophrénie, lance-t-il encore. Puisque les tribunaux libanais civils appliquent la loi civile étrangère quand un mariage civil est contracté à l’étranger, je ne vois aucun problème à ce que le mariage civil contracté au Liban renvoie à des lois civiles étrangères en l’absence de textes libanais en la matière. »

Le Liban n’ayant pas de code de statut personnel unifié, toutes les questions relatives au statut personnel, qu’il s’agisse de mariage, divorce, garde des enfants, héritage, etc., sont donc soumises au droit relatif au statut personnel de sa communauté. Dès lors, les unions civiles célébrées à l’étranger sont soumises au droit du pays dans lequel a été contracté le mariage.

Dans le cas de Marie-Joe et Abdallah, le contrat et tous ses effets légaux sont soumis à la loi française.

« Il est vrai que l’ambition est d’avoir au Liban une loi civile facultative. Mais en attendant, il n’est pas justifié de bloquer ces unions quand elles sont contractées en territoire libanais », martèle l’ancien ministre. « On n’a vraiment pas besoin de bloquer l’évolution vers le mariage civil sous prétexte qu’il faut attendre qu’une loi l’organise. Lorsque cette loi sera là, elle sera elle aussi interprétée dans le sens voulu par les droits et libertés », avait écrit en 2013 Hassan Tabet Rif’aat, ancien directeur général du ministère de la Justice, dans L’Orient-Le Jour.



Pour mémoire

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commentaires (7)

Bravo à vous ,jeunes mariés Bon courage

Lina Daher

06 h 36, le 08 juillet 2019

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Commentaires (7)

  • Bravo à vous ,jeunes mariés Bon courage

    Lina Daher

    06 h 36, le 08 juillet 2019

  • félicitations et oui / bravo au mariage civil ( au liban )

    radiosatellite.online

    19 h 59, le 07 juillet 2019

  • Après le concept de "Mariage Civil" on se demande si le concept de "Cohabitation légale" existe au Liban. C.a.d. cohabiter sans se marier.

    Stes David

    08 h 27, le 03 juillet 2019

  • FELICITATIONS AUX NOUVEAUX MARIES ! MAIS LE MARIAGE RELIGIEUX EST PLUS ELEGANT SI CE N,ETAIT PAS SON COUT QUE BEAUCOUP DE COUPLES NE PEUVENT SE LA PERMETTRE.

    L,EXPRESSION DE LA LIBRE CRITIQUE.

    13 h 30, le 02 juillet 2019

  • Les ambassades seule peuvent marier un libanais et un etranger du meme pays de l ambassade .....jamais un couple libanais !

    HABIBI FRANCAIS

    11 h 59, le 02 juillet 2019

  • Mabrouk.

    Eddy

    11 h 31, le 02 juillet 2019

  • Donc les mariages civils conclus à l’étranger sont reconnus et enregistrés au Liban? Une ambassade étrangère est considérée comme territoire étranger? Eh bien mariez-vous dans une ambassade quelconque à Beyrouth, et le tour est joué...

    Gros Gnon

    05 h 05, le 02 juillet 2019

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