« Un État patriarcal comme le Liban, immunisé contre les réformes, trouvera toujours un prétexte pour priver de leurs droits les femmes, qu’il considère comme des citoyens de seconde catégorie. » Le constat est implacable, diraient certains. Mais de la bouche de Lina Abou Habib, militante de longue date pour le droit des Libanaises à transmettre leur nationalité au même titre que leurs compatriotes masculins, il prend tout son sens.
Connue pour son franc-parler et sa connaissance de la situation des femmes au Liban et dans le monde arabe, la cofondatrice du CRTDA (Collectif pour la recherche et la formation sur l’action pour le développement), à l’origine de la campagne « Jinsiyati », rentre tout juste de Vancouver où elle n’a pas manqué d’évoquer les atteintes aux droits des femmes au Moyen-Orient, à l’occasion de la conférence internationale Women Deliver 2019 sur l’égalité des genres. Une conférence à laquelle elle a participé en tant que directrice exécutive de Women Learning Partnership (WLP), ce réseau de 20 organismes féministes (parmi lesquels le CRTDA) qui mène campagne pour l’égalité des genres au niveau du statut personnel dans une soixantaine de pays du Sud, dont le Liban.
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Une loi centenaire sur la nationalité
« Dans des pays comme le Liban, le point de départ est l’inégalité, souligne Lina Abou Habib à L’Orient-Le Jour. Cette réalité touche aussi bien les Libanaises que les femmes victimes de conflits, notamment les réfugiées syriennes et palestiniennes. » Et d’expliquer qu’en matière « de statut personnel, l’État considère l’homme comme seul et unique citoyen, alors qu’il ignore l’autre moitié de sa population ». « La femme est considérée comme subordonnée », regrette-t-elle, pointant du doigt « le système patriarcal en place » mais aussi « le manque de responsabilité de l’État vis-à-vis de ses citoyens ».
La loi sur la transmission de la nationalité au Liban date de 1925. Elle est presque centenaire. « Sous prétexte d’empêcher l’implantation des réfugiés palestiniens et syriens, elle refuse à la Libanaise le droit de transmettre sa nationalité à sa descendance et à son époux étranger, dénonce la féministe. Or la majorité des mariages mixtes unissent des hommes libanais à de jeunes réfugiées syriennes ou palestiniennes. » Sans oublier que « la nationalité libanaise est accordée par décret présidentiel, on ne sait sur quelles bases ». « Priver une femme de son droit à transmettre sa nationalité, c’est la priver de tous ses droits, car ceux-ci sont indivisibles », martèle la militante, se demandant s’il faudra encore un autre siècle pour dépoussiérer une législation basée sur l’inégalité entre les citoyens.
Alors, pour faire face à cette réalité immuable, le réseau WLP a lancé une recherche dans 11 pays, dont le Liban, sur « le processus de réforme des lois liées au statut personnel, que ces réformes aient abouti ou non ». « Effectuée au Liban par les avocats Ziyad Baroud et Ghadir el-Alayli, cette recherche vise à comprendre le processus de changement et les mouvements sociaux dans le domaine, afin de mettre en place une campagne globale vers l’égalité des genres », explique Lina Abou Habib.
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Mobilisation des associations, des intellectuels, des médias
« Tout commence au sein de la famille, plus particulièrement l’inégalité entre les citoyens », est l’hypothèse de départ d’un tel travail. Car au Liban, comme dans nombre de pays de la région, « la sphère privée est complètement prise en charge par les codes communautaires du statut personnel, à savoir le mariage, le divorce, l’héritage, les enfants... » ce qui est « contraire à la démocratie ou à l’État de droit ». C’est donc « à cette sphère qu’il faut s’attaquer, estime la directrice exécutive, plus particulièrement à travers l’éducation et les lois ».
Mais tout n’est pas noir. Lina Abou Habib tient à relever « une avancée notable ». « Des sujets de société importants, comme le statut personnel, la nationalité, les libertés individuelles, les droits de la communauté LGBTIQ, sont aujourd’hui au cœur d’un débat social et politique », observe-t-elle. « Ces questions ne sont donc plus taboues. » « À l’origine de cette évolution qui n’a pas manqué de déstabiliser le système en vigueur, la mobilisation de trois acteurs qui n’ont cessé de revendiquer : les associations, les intellectuels et les médias », reconnaît la responsable. En revanche, face à cette avancée, Lina Abou Habib remarque un « recul important », qui s’est concrétisé par « l’apparition de groupuscules obscurantistes moyenâgeux » qui se sont à leur tour « mobilisés avec hostilité et agressivité contre les libertés individuelles, et plus particulièrement contre la communauté homosexuelle, sans aucune réaction de la part de l’État ».
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« Quatre propositions et demie de lois »
Dans cet état des lieux, les appels à la réforme se multiplient. « Quatre propositions et demie de lois sur la transmission par la femme de sa nationalité » ambitionnent de réformer la scène libanaise sur la question, indique la militante. D’abord celle du CRTDA et de sa campagne Jinsiyati, « Ma nationalité est un droit pour moi et ma famille », basée sur l’égalité entre l’homme et la femme. « Nous proposons que si, éventuellement, certains garde-fous devaient être adoptés dans le cadre du refus de l’implantation des réfugiés, ils soient les mêmes pour les femmes et les hommes », affirme-t-elle. Deux autres propositions de lois sont également basées sur l’égalité entre l’homme et la femme, présentées par le député du Parti socialiste progressiste Hadi Aboul Hassan et par la députée du courant du Futur Roula Tabch. « Nous soutenons ces deux propositions », assure Lina Abou Habib. De son côté, la députée Inaya Ezzeddine, du mouvement Amal, prévoit d’accorder des droits sociaux, économiques et civils (sauf politiques) aux enfants et époux des Libanaises.
Mais celle qui retient aujourd’hui l’attention de tous, pour avoir été « au cœur d’un véritable tapage médiatique », est la proposition de loi présentée par la fille du chef de l’État, Claudine Aoun Roukoz, présidente du Conseil national de la femme libanaise. Elle établit pourtant « une discrimination entre les enfants d’une même mère », puisqu’elle accorde la nationalité aux enfants mineurs des Libanaises (pas à leurs époux ni à leurs enfants majeurs), tout en précisant que le dossier des enfants majeurs sera à l’étude au bout de 5 ans sur base de certains critères. Une question demeure par ailleurs en suspens. « Les enfants de mère libanaise et de père syrien ou palestinien obtiendront-ils la nationalité? » Une question à laquelle le Courant patriotique libre a déjà répondu par la négative à plusieurs reprises, par la voix des deux gendres du président Aoun, le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil et le député Chamel Roukoz.
Pour Lina Abou Habib, qui doit donner aujourd’hui une conférence de presse sur la nationalité, « le défi est de taille ». Car elle est certaine que la loi qui pourrait être adoptée « comprendra des exclusions ». Mais elle refuse de se décourager : « Nous allons surmonter cela, quoi qu’il arrive. »
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commentaires (3)
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Pour le choix de la nationalité des enfants d’un couple de nationalité différentes. Il faudra si la population l’accepte culturellement et cultuellement, et la loi l'autorisera par la suite, c'est de choisir dès la naissance le nom de famille, celui de la mère ou celui du père. Dans ce cas l'enfant bénéficiera d’une seule nationalité celle de sa mère ou celle de son père. Si l’enfant désire obtenir une autre nationalité elle lui sera délivrée selon les règles de l’état sollicité.
DAMMOUS Hanna
14 h 15, le 20 juin 2019