Divya Dwivedi : « En Inde, les minorités religieuses sont persécutées pour cacher que la véritable majorité, ce sont les castes inférieures »

Dans un entretien au « Monde », la philosophe indienne affirme que l’idée de « majorité hindoue » est un « canular » permettant aux hautes castes de maintenir la ségrégation et l’exploitation des basses castes.

Propos recueillis par

Publié le 11 février 2022 à 17h00

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Divya Dwivedi est une philosophe et autrice indienne, professeure à l’Institut indien de technologie de Delhi. Elle a publié, avec Shaj Mohan, Gandhi and Philosophy : On Theological Anti-politics (« Gandhi et la philosophie : de l’antipolitique théologique », Bloomsbury Academic, 2019, non traduit). Elle est l’éditrice de la revue multilingue Philosophy World Democracy qu’elle a cofondée avec, notamment, Shaj Mohan, Jean-Luc Nancy, Achille Mbembe, Mireille Delmas-Marty et Monique Canto-Sperber.

Divya Dwivedi en janvier 2021.

Dans un article paru dans le magazine « The Caravan », vous affirmez que l’hindouisme date du début du XXe siècle. Les Veda, les textes « révélés », fondateurs de cette religion, sont pourtant très anciens…

Les Veda ont été composés entre 1500 et 500 avant J.-C. par un peuple qui, après avoir migré depuis les steppes eurasiatiques, a envahi le sous-continent. Ils se sont nommés « Aryens » et ont appelé leur langue « arya », laquelle est liée au sanskrit classique. Leur religion peut être appelée à juste titre « védique ». Ces textes révèlent déjà la hiérarchie imposée à la population de cette époque, considérée comme des serviteurs, des esclaves et des démons. Le système des castes était conçu comme une forme d’apartheid racialisé et ritualisé pour assurer l’hégémonie des envahisseurs védiques aryaphones et de leurs descendants sur la majorité des habitants du sous-continent.

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Dans cet ordre social millénaire, les basses castes et les intouchables n’avaient pas le droit d’apprendre les Veda. Ils étaient exclus de toutes les activités sociales et collectives, ainsi que des lieux de culte, comme les temples, et se voyaient refuser l’accès aux ressources, telles que la terre, l’eau potable, les routes. De plus, ils étaient confinés aux métiers héréditaires de leur caste. Les castes supérieures pouvaient ainsi exploiter le travail de ceux-là mêmes qui étaient exclus de la vie collective. Dire que cette idéologie raciste est la religion de ceux qu’elle a opprimés est une mauvaise plaisanterie : cela revient à dire que l’esclavage américain était une pratique religieuse consensuelle !

De fait, les castes inférieures – le peuple prévédique et les tribus vivant dans le sous-continent – possédaient leurs propres rituels, dieux, traditions sacrées et religions. A partir de la fin du XVIIIe siècle, les colons anglais ont cherché, à des fins statistiques, à créer un seul code religieux pour les peuples non musulmans et non chrétiens. Suivant leur interprétation erronée, ils ont proposé la religion « hindoue ». Au début, les brahmanes – la caste des prêtres qui font la loi – s’y sont fortement opposés en affirmant que leur religion « aryenne » ne devait pas être polluée en lui accolant les basses castes. Ce n’est qu’avec l’émergence du système politique moderne, au début du XXe siècle, que les hautes castes ont réalisé qu’être une élite minoritaire, environ 10 % de la population, allait mettre fin à leur domination. Ils ont donc adopté et promu la religion « hindoue » dans le but de dissimuler leur statut minoritaire.

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